Phase haute ?

Ceci n'est pas un appel à l'aide

– Ca va ?

– Je sais pas répondre à cette question

C’est comme ça que la plupart de mes conversations commencent ces temps-ci.

J’entends “ça va” comme une question sincère de la part de mon entourage, qui s’enquièrent de mon état général. Ces derniers mois, j’ai eu différentes stratégies pour y répondre :

  • Répondre en fonction de l’émotion qui me traverse au moment où on me pose la question. Si c’est positif “oui, …” et si c’est une émotion négative “non, …”.
  • Mentir. Toujours dire que ça va pour pouvoir faire avancer la conversation. J’aime pas cette stratégie et je l’ai très peu utilisée, je déteste mentir.

Mais la réalité, c’est que j’en sais littéralement rien, parce que cette question n’a pas de sens. Elle n’est tout simplement pas pertinente en cette période de ma vie.

Il y a 5 mois, en pleine phase d’humeur haute (euphorie, excitation), poussée par l’enthousiasme de mon activité pro nouvellement commencée, je me suis mise à être très active. J’ai essayé de participer à plein de choses, me couper un maximum des réseaux sociaux, arrêter de regarder des films, des séries, de jouer aux jeux video. Ne plus lire d’articles politiques ou passer des heures devant YouTube à écouter des videos politiques de 1h30 ou 3h.

Le tout dans un but bien précis : faire.

C’est une obsession que j’ai depuis longtemps. Alors j’ai trouvé des contacts dans des collectifs, je me suis mise à rejoindre des activités variées, lancer des petits projets perso (ex : retaper un vélo), faire du sport (boxe), sortir marcher tous les jours. J’ai rouvert un Bullet Journal, mis en place des outils pour essayer de gérer mes problèmes d’organisations et mon impulsivité, lancé de gros travaux mentaux pour essayer de changer certains comportements. Au milieu de tout ça, entretenir mes relations avec mes partenaires, voir des ami·e·s, parler, parler et tant parler. Du sexe aussi. Et depuis, ça n’a pas arrêté. Je n’ai jamais autant travaillé, même encore maintenant dans ma période sans emploi. C’est l’effervescence, je cours partout, mon emploi du temps toujours chargé. C’est l’euphorie si souvent de faire autant de choses.

J’ai réussi. Je suis devenue cet archétype de la personne qui “court partout”, qui “en fait trop” et qui ne “s’arrête jamais”. Si souvent je me dis : “Je suis si heureuse !”

Mais ai-je réussi ? Parce qu’encore maintenant, je continue de voir celleux qui en font plusse, sont dans encore plusse de projets, semblent encore plusse occupé·e·s que moi. Et ça me pousse à vouloir essayer d’en faire encore plusse, dévorée par le besoin qu’on me perçoive comme une extraordinaire bosseuse qui fait des millions de choses.

Et puis, il y a l’envie de tout faire et la menace que la vie est courte : je dois me dépêcher, et j’ai déjà du retard. Du retard par rapport à celleux qui se sont activé avant moi, travaillent autant voir plusse, depuis plus longtemps, ont plusse d’expérience, sont plusse efficaces, etc.

Quelle connerie.

Parce qu’évidemment c’est un piège. Toute cette euphorie masque le fait que je suis épuisée au-delà des mots, que mon corps me donne régulièrement des signaux qu’il faut que je ralentisse, que je gère mal mes émotions et ma colère à cause de la fatigue, que je fais de temps en temps des meltdowns parce que j’en peux plu. Je le sais, il faut que je m’arrête pour me reposer.

L’astuce ? Je. Ne. Peux. Pas.

Et ce n’est pas une façon de parler. J’y arrive littéralement pas. Même les jours où je choisis de me reposer, je finis par travailler sur différentes choses. Meme les semaines que je choisis de laisser légères, je les remplis de rendez-vous, de tâches, que je m’échine à faire. Merde, même ce foutu billet est écrit à 23:00 passé alors que je devrais dormir purin. Mais je dois faire. Parce que pendant près de 18 ans j’ai souffert à en pleurer de pas être foutue de me bouger pour essayer de réaliser des choses.

Mais aussi parce que c’est si bon. C’est physiquement bon.

Mes émotions ne sont que des sensations physiques. Je ne sais quelle est mon émotion que via les signaux de mon corps que j’ai appris à identifier. Je sais quel mal de ventre veut dire peur, angoisse ou excitation. Ce que veulent dire les différentes sensations électriques qui me traversent.  C’est toujours très intense. Et travailler autant, c’est absolument, physiquement, délicieux.

Je veux ma dose.

Mais c’est aussi une fuite en avant. Tant que j’avance, que je continue de marcher, de courir partout : nos angoisses ne nous rattrape pas. Je peux ignorer : la peur, les doutes, même la folie. Mais je ne peux pas m’arrêter.

Et puis il y a, au loin, l’ombre qui fait peur : il se passera quoi, quand je pourrai littéralement plu ?

Si j’ai bien compris comment on fonctionne, cette phase d’humeur haute, pleine d’euphorie, d’énergie et d’enthousiasme, elle va se terminer. Et après ca, arrive une période de dépression, parfois extrêmement forte.

Notre dernière depression était très violente, et probablement celle qui a été la plus dure et nous a fait le plusse peur. Alors parfois on a peur de ce que donnera la prochaine, si son intensité doit être à l’image de cette phase haute. Il faut qu’on se prépare, que l’on demande de l’aide à notre entourage pour anticiper la chute et ne pas s’enfoncer trop loin quand ça commencera à pas aller.

Voila, dans “ça va”, y’a tout ça.

Alors non. Ça va pas. Mais ca ira. Peut-être. Faut pas s’inquiéter.  On continue de marcher.