Fimbulvetr, pt 2

Content Warning : Pluralité, santé mentale, nourriture

Deuxième partie : Reflets

Le sentier est désert et s’enfonce dans un petit bois qui longe la rivière. Sans être une véritable forêt, on peut malgré tout y marcher pendant une bonne heure avant de faire demi-tour. Ou de déboucher plus à l’extérieur de la ville, où s’étendent quelques collines et champs cultivés. La ville est de taille moyenne, c’est ce que s’est toujours dite Anaïs. Sans vraiment savoir ce qu’une taille moyenne implique pour une ville, on est cependant loin à la fois des gigantesques capitales et des petits villages où paissent plus de vaches qu’il n’y a d’âmes humaines qui vivent. Donc une ville de taille moyenne, bâtie sur une colline. La périphérie donnant un air de campagne, mais si l’on va à quelques dizaines de minutes de la ville, on retombe sur des ensembles d’habitations assez denses. La ville canalise le travail mais ne permet pas de s’y installer facilement pour effectuer le-dit travail. Et beaucoup préfèrent le calme de la campagne et l’espace qui y est offert.

Anaïs ne pouvait cependant pas s’offrir plus qu’un petit appartement à l’extérieur de la ville. Et après réflexion, elle aimait bien la proximité des commerces. Pourquoi donc vouloir plus d’espace quand elle se sentait tant à l’aise dans un espace confiné ? Certes il y avait les animaux à la campagne. C’était un bon point qui aurait pu la faire changer d’avis. Mais sortir est déjà un acte courageux en soi. La distance à la ville aurait été trop longue à couvrir. Et puis elle avait la rivière. Et le sentier sur lequel elle marchait. Elle le fréquentais peu, mais savoir qu’il était là, et qu’il était souvent désert, c’était apaisant. Son petit chemin de promenade, pour quand elle se sentait de se promener. Ou quand, comme dans le cas présent, Lily l’y aidait.

Anaïs aimait beaucoup prendre le temps d’observer tout ce qui l’entourait. Du pont de pierre à la rivière qui suit son cours. Des berges parsemées de plantes semi-aquatiques, aux racines des arbres qui hébergent quelques ragondins. Parfois quelques canards qui viennent chercher à manger auprès des personnes qui passent. Anaïs ne leur ramenait jamais de pain, elle avait lu que c’était mauvais pour eux. Pour autant, quand des gens leurs en donnent, elle s’attarde souvent pour voir tous les oiseaux alertés par le repas qui leur est offert. A portée suffisante cependant pour éviter toute interactions avec d’autres êtres humains. Les oiseaux oui, les gens non.

Le petit chemin qu’elle empruntait à présent, elle le connaissait. Pas par cœur comme le trajet pour aller au centre de la ville et à ses rendez-vous, mais suffisamment pour s’y sentir à l’aise. Elle aurait aimé pouvoir se perdre des heures durant sur des petits sentiers, mais le fait que la promenade ne pouvait pas trop durer était aussi une bonne chose. Pas de risque de marcher pendant plusieurs heures pour se rendre compte à la fin qu’elle n’a pas l’énergie pour le retour.

Les plantes et animaux qu’elle pouvait observer variaient selon les saisons. Au printemps, des fleurs de toutes les couleurs semblaient éclore de manière aléatoire aux alentours de la rivière et du sentier. Beaucoup dans des teintes jaunes, mais d’autres roses, bleues, blanches, et parfois même oranges et rouges. Ça et les odeurs du pollen dans l’air. Parfois trop de pollen cependant, elle n’y était pas allergique mais quand l’air est trop chargé c’est désagréable.

En été, les buissons épineux se faisaient plus présents, au risque de déchirer robes et collants en s’aventurant trop dans les fourrés. Cela lui était arrivé une fois, et elle en était toujours amère. Ses vêtements lui étaient importants, chacun d’eux étaient la preuve de sa force et de sa détermination à affronter l’espace public quelques soient les regards. Seuls quelques vieux T-shirt trop larges lui importaient moins, mais même pour ceux-ci elle ressentait de l’affection. Ils étaient pratiques les jours où elle n’avait pas envie de s’embêter à se préparer.

En automne, beaucoup des arbres du petit bois perdaient leurs feuilles, et le plus marquant restait l’odeur forte de la matière organique en décomposition, de l’humidité qui rendait l’air lourd, d’autant plus juste aux abords de la rivière. Le sol était aussi souvent boueux et glissant, ce qui était désagréable et rebutait suffisamment Anaïs pour éviter de trop s’y promener.

L’hiver, il y avait souvent présence d’une fine gelée sur les quelques fleurs et feuilles qui subsistent. Les plantes qui en souffraient le moins étaient les plus broussailleuses. On entendait aussi toujours les oiseaux en quête de nourriture, sûrement à la recherche des même baies qu’Anaïs se retenait de manger de peur qu’elles soient toxiques. Elle n’osait manger que les mûres qu’elle croisait sur le chemin. A s’en remplir le ventre quand possible. Les mûres c’est le self-service végétarien de la nature, selon ses propres dires. Parfois ramasser des noisettes et noix quand il y en avait. Et plus rarement des figues, mais ça ce n’était pas dans la forêt. Quoique pour celles-ci, elle faisait toujours un détour. Au cas où.

Il y avait quelque chose d’étrange cette fois-ci.

“Lily, regarde !
-Les fleurs ?
-Non, enfin oui, mais la tige !
-Oh ! Oui ! C’est perturbant. Beau. Surprenant.”

La plante avait attiré l’attention d’Anaïs par ses reflets irisés au soleil. Aucune plante n’avait ce genre de reflets. En s’approchant, on remarquait que toute la tige était prise dans un fin étau de glace. La plante entière était entourée de cette fine pellicule glacée. Au même moment, quelques rayons de soleil percent à travers le couvert de verdure et illuminent une plus grande partie du bosquet. Tout se met à étinceler comme dans une galerie de miroirs scintillants.

Toutes les plantes ont gelé. Toutes. C’est étrangement envoûtant. Captivant.
Une bourrasque de vent secoue la cime des arbres.
Un vent glacé qui fait s’envoler quelques feuilles qui se déposent dans le sous-bois.
Des feuilles toutes aussi gelées que les plantes qui leurs servent de coussins temporaires.

Le souffle fait frissonner Anaïs malgré tous ses vêtements.
Elle se cache les mains dans les poches du manteau.
Ça apaise le froid mordant. Un peu.
Il est peut-être temps de rentrer à la maison.
Mais d’abord, au moins arriver à son petit endroit de calme et de paix.
C’est comme ça qu’elle appelle l’endroit où le chemin rejoint, après une bifurcation et un petit dénivelé, le bord même de la rivière. De petites pierres plates et galets forment une plage où pourraient se tenir un maximum de deux personnes. Quand le cours d’eau n’est pas en crue, il est possible de s’y reposer. Anaïs considère cet endroit comme secret. Il est difficile à voir depuis le chemin forestier, et il est impossible de dire si une personne y est assise ou pas sans s’y aventurer soi-même. Des buissons touffus entourent la petite plage, et d’autres bloquent vaillamment la vue de l’autre côté de la rivière. Un véritable endroit caché du monde. Au bord de l’eau. Un endroit d’apaisement et de repos de toutes les stimulations extérieures.

Après quelques minutes, elle aperçoit le chemin caché. D’autant plus caché que la buée de son souffle forme des nuages de brouillard sur ses lunettes. Enfin, en descendant avec précaution le chemin humide et verglacé, elle arrive sur la petite plage.
Le cours d’eau est gelé. La glace recouvre toute la surface et semble s’étendre comme une toile sur les bords. Les plantes qui habillent les berges forment un paysage irisé, vert et blanc, qui semble prendre vie sous les doux rayons du soleil. Les galets par contre, qu’il fasse froid ou chaud, restent toujours autant inconfortables.

Heureusement, le manteau rouge protège autant du gel que de la dureté du siège improvisé.
Si seulement il protégeait aussi de l’attention non désirée des hommes dans la rue.
Mais c’était Lily qui avait choisi ce manteau.
Et quand Lily prenait le relais, elle semblait si forte et pleine d’assurance que peu de gens osaient la déranger. Et quand ils le faisaient, les réponses étaient encore plus glaciales et mordantes que l’hiver le plus rude.

Elles observent attentivement la rivière pendant de longues minutes. L’eau semble toujours couler sous sa couverture de gel. Du pied, Anaïs tente de tester la solidité de la glace. Sur le bord où la profondeur n’est que de quelques centimètres, la glace tient bon. Cependant, juste un peu plus loin que l’endroit où elle a posé la botte, la glace se fendille. Aussi tentant que cela puisse être, cela semble une mauvaise idée de s’aventurer sur la rivière. Mais que seule la surface soit gelée, c’est sûrement mieux pour les poissons se dit-elle. Et les canards ? Comment font-ils ? On ne voit jamais les canards quand tout est gelé. Où sont-ils ? Prise par cette réflexion et bien d’autres au sujet du confort des oiseaux en hiver, Anaïs se laisse à ses pensées vagabondes pour un temps indéterminé.

Le soleil commence à amorcer sa descente quand un bruit étrange, guttural, résonne. Un bruit qu’Anaïs ne peut pas ignorer. Un grondement, que l’on associerait facilement à une bête affamée. La source du bruit est rapidement localisée. Sans avoir besoin d’un regard acéré ni de calculs complexes, Anaïs sait instinctivement d’où le grognement vient. Son ventre. Elle a faim. Le petit déjeuner n’a pas suffit. Elle fouille dans son sac. Elle n’a pas souvenir avoir fait à manger à emporter. Elle ne sait plus exactement comment elle s’est préparée d’ailleurs.

“C’était moi”, s’exclame doucement Lily.

Tout s’explique.

“Tu as un thermos de thé normalement, dans la poche du milieu.”

Anaïs sort ses mains, qui pourtant étaient bien au chaud, de ses poches. Il va falloir chercher dans le sac. Si ses mains pouvaient rouspéter contre le froid hivernal, elles le feraient. La fermeture en tissu l’apaise, vu le froid qu’il fait elle n’aurait pas aimé devoir saisir du métal. Le thermos est rapidement trouvé, malgré le champ de bataille qu’est l’intérieur du sac. Heureusement que Lily a fait un peu de rangement la veille, en enlevant les papiers qui dataient de bien trop longtemps. Elle la remercie intérieurement, ce à quoi un sentiment chaleureux de gratitude lui répond.

Le thermos est en métal, mais recouvert d’une fine couche de peinture aux motifs floraux. Le froid ne l’a pas affecté, et il est au contraire plutôt tiède. Anaïs y réfléchit quelques secondes et se dit qu’il serait bien d’en acheter un nouveau. Un thermos tiède, c’est une mauvaise idée, surtout quand il est censé garder la chaleur à l’intérieur. Mais elle s’y est attachée. C’était un achat qu’elle avait songé utile il y a quelques années maintenant, et elle avait passé des semaines de réflexions pour choisir le thermos parfait. Elle s’était rendu au magasin le plus proche, et… avait pris celui avec des fleurs qui était en promotion, indépendamment de toutes ses réflexions. Mais au moins il lui plaisait. C’était un bon achat.

Elle dévisse doucement le bouchon, ses mains se réchauffant au contact de la bouteille. Quelques gouttes de thé lui tombent sur la main. Chaud, pas brûlant. Elle n’a aucune idée de quel thé Lily s’est employée à faire infuser. Anaïs passe en revue les différentes options. Il y a les infusions qui sont nombreuses, mais Lily a dit du thé. Elle sent un amusement au fond d’elle qui lui signale que sa compagne prends plaisir à suivre sa réflexion. Donc, en thé, il y a… les sachets de pêche-mangue. Les sachets de thé Earl gray. Et les sachets de thé orange-cannelle. Elle parierait bien sur le dernier. Il n’y a pas de sachet dans la bouteille, donc c’est sûrement que Lily l’a enlevé avant de partir. Il n’y a pas de thé en feuilles normalement ? Pas selon ses souvenirs.

Elle boit une gorgée. Cela s’approche du thé orange-cannelle. Mais il y a un petit goût en plus. Un goût surprenant qu’elle n’arrive pas à identifier. En tous cas, le chaleur qui la traverse lui fait un grand bien, surtout par le froid intense de la journée. Elle pourrait rester là, à savourer le thé en se réchauffant les mains. Toutefois, la curiosité l’emporte.

“C’est bien orange-cannelle ?
-Oui. Enfin presque.
-Presque ?
-Tu n’as vraiment pas d’idée ?”

Anaïs fouille dans ses souvenirs. Mais rien n’y fait. Elle essaye de fouiller également dans des souvenirs qui ne sont pas les siens. Ceux de Lily. Elles peuvent communiquer par mots, par images, et tout simplement en partageant des souvenirs. Mais pour ça, les deux doivent le désirer. Fouiller dans les souvenirs l’une de l’autre sans permission, elles l’évitent. Et puis elles ne peuvent tout simplement pas si les informations sont “protégées” par la conscience de l’autre. Heureusement, elles ont l’habitude de cette cohabitation maintenant, et ont une relation saine et épanouie. Autant que possible. Anaïs sait que Lily ne lui en voudra pas si c’est pour deviner le parfum d’un thé.
Sauf que rien n’y fait.
Impossible de retrouver les souvenirs.
Ils sont sous un voile opaque, semblable à celui que la buée de la boisson chaude dépose sur ses lunettes. Lily ne veut pas partager ça, et cela semble l’amuser beaucoup de voir Anaïs essayer de deviner au goût et sans indices visuels ce qu’elle a rajouté dans le thé. Cette dernière ne veut pas s’avouer vaincue, mais n’a aucune idée qui lui vienne. Deux sachets de thés différents ? Peu probable. Ni l’une ni l’autre n’aime ces mélanges impromptus de saveurs. Quelque chose en plus. Un ajout. Mais qu’est-ce qu’elle aurait pu ajouter dans un thé ? Du sucre ? Non. Pas là. Du sel ? Heureusement non plus. A bout d’idées, elle s’avoue vaincue.

“Des épices. De la cardamome pour être précise.”

Mais bien sûr ! Maintenant qu’elle a la réponse, cela lui parait évident. Ce sont les dernières épices qu’elle a acheté. Elle s’était dit qu’elle essayerait d’en mettre dans ses plats et boissons à l’occasion, mais le petit pot était resté bien fermé jusqu’à présent. Lily a du s’en rendre compte et vouloir faire la surprise. Surprise agréable au passage, même si… surprenante. Une surprise surprenante. Ça résume bien la situation. Mais c’était amusant de chercher à deviner. Cependant, entre la saveur qu’elle connait peu, et le fait qu’il est impossible d’avoir un indice de la part d’une boisson dans l’obscurité d’un thermos, elle n’aurait sûrement jamais trouvé.

“Merci, c’est une bonne idée, j’aime beaucoup.” souffle Anaïs.

Après cela, elle engloutit la boisson en quelques gorgées. Trop vite, sûrement. On lui a toujours dit de boire doucement. De faire les choses doucement. De ne pas se presser. Mais quand quelque chose lui plait, c’est difficile de se retenir. Surtout quand on en vient à la nourriture et aux aliments. Trop souvent elle a des difficultés à avaler quoi que ce soit. Mais quand elle a faim, elle avale des assiettes entières en quelques minutes. Manger lui procure beaucoup de plaisir. Boire des boissons chaudes aussi. Le café le matin, le thé en journée, et les infusions le soir. Elle essaye d’arrêter le café le soir en ce moment. Une tendance à se coucher à des heures impossibles à cause de ça.

Enfin, ça et l’ordinateur. C’est incroyable comme les réseaux sociaux sont animés la nuit. Il y a toujours quelque chose à lire et quelqu’un à qui parler. Toujours des images de chats adorables pour la faire sourire quand le sommeil ne vient pas et que les ombres essayent d’établir leur territoire. Des chats et d’autres animaux. Mais surtout des chats, les gens les aiment bien de ce qu’elle croit comprendre à présent.

Réchauffée, elle profite encore quelques instants de la vue, du calme offert par son petit lieu secret, puis elle décide de rebrousser chemin. La montée pour retrouver le petit sentier est encore toute gelée et l’aventurière atterrit presque sur les fesses. Heureusement, les troncs d’arbres, en dépit d’être couverts d’une fine pellicule de gel eux aussi, fournissent un bon appui. Le reste du cheminement pour sortir de la forêt se passe sans problème. Anaïs a même la joie de voir un petit écureuil passer de branches en branches. Un petit écureuil tout roux. Qui lui rappelle les écureuils malabar. De gros écureuils aux couleurs bleues, rouges, jaunes, et qui sont gros. Très gros. Très très gros. Il n’y en a pas à moins de plusieurs milliers de kilomètres. Ça fait beaucoup. Quoiqu’à une petite heure de là, elle devrait pouvoir en voir. Depuis son ordinateur. C’est pratique, internet, pour voir des photos et vidéos d’animaux.

Plongée dans ses pensées d’écureuils géants aux couleurs vives, elle franchit de nouveau le pont, cette fois-ci en sens inverse, et se dirige tranquillement vers son petit nid douillet. Le soleil se couche tôt en cette partie de l’année, et quelques nuages de pluie commencent à se rassembler. Ou de grêle, se dit Anaïs, la vision toujours obstruée par la buée sur ses lunettes. Mieux vaut être rentrée quand ça tombera.

Un vent polaire se met à souffler. Une bourrasque douce mais abominablement froide. Il n’y a plus qu’une quinzaine de minutes jusqu’à la chaleur de l’appartement, et bien heureusement. Un reflet sur les derniers mètres de la rivière attirent son attention. Un reflet ? Plus, une ombre. Encore une de ces ombres qui essaye de lui faire peur ? Si c’est ça, cela ne marchera pas. Elle s’arrête. S’approche de l’eau. De la glace. Quelque chose ne va pas. La sensation qu’il manque quelque chose. Mais quoi ? Elle est sûre qu’il manque quelque chose. Un détail. C’est une certitude. Mais elle ne sait pas quoi. En tous cas elle décide de ne pas se laisser intimider. Elle reprend son chemin.

Aucune ombre derrière elle. Elle n’a pas peur. Enfin, pas de ces peurs paniques qui peuvent la terrifier en pleine journée. Pas de formes étranges. Tout a l’air d’aller bien. Si ce n’est cette rivière qui lui a posé une interrogation. Il manquait quelque chose, mais quoi ? Il y avait la glace. Le bleu, très sombre, de l’eau. Peut-être était-ce ça ? Le bleu était très intense. Profond.

Elle arrive dans le hall de l’immeuble. Enfin en sécurité. Presque. Une grande inspiration. Les escaliers. Vite. Mais pas trop, elle se tient à la rambarde, glacée. Pas envie de tomber. Le froid reste intense même dans les parties communes. La porte de l’appartement. Elle ouvre. Se glisse rapidement chez elle. Ferme la porte, allume la lumière. En sécurité. Enfin. Pourquoi cette peur ? Encore un tour que lui joue sa santé ? Pourtant, sur tout le reste, elle se sentait bien. Il n’y avait pas les même symptômes que d’habitude. La promenade avait du l’épuiser, certes. Mais c’était la fatigue, très sûrement. Rien de plus.

La bouilloire allumée. Le chauffage d’appoint aussi, pour chasser le froid qui s’installe bien trop rapidement même dans le confort de la pièce principale. C’était vraiment une bonne idée que cet achat. Elle devait juste veiller à l’éteindre et le débrancher quand elle partait et quand elle dormait.

Réchauffée et rassurée, elle se pose devant son bureau.
Tout va bien.
Elle est chez elle.
En sécurité.

Ses pensées la travaillent. Une impression qu’il manque quelque chose. Difficile de se détendre. Son écran s’allume. Elle ouvre une page internet. Rapidement, des images douces l’apaisent. Des chats. Encore. Toujours des chats. Elle cherche quelques autres animaux à partager. Elle tombe sur des images de rivières pleines de poissons. Des carpes ? De gros poissons en tous cas. Très colorés. Pas comme le bleu de nuit qu’elle a pu voir dans l’eau. La rivière, gelée. Bleue. Presque noire. Il y a quelque chose qui cloche. Elle regarde de nouveau l’image avec les poissons. La journée est claire sur l’image. Un soleil haut. Pas comme celui qui décline doucement vers l’horizon par sa fenêtre. On voit les reflets des arbres et plantes qui bordent la rivière. Reflets qui habillent les habitants du cours d’eau de motifs verts et les camouflent en partie.

C’est ça !
Un effet d’optique ?
Sûrement.
Mais c’est étrange malgré tout.
C’était ça qui manquait.

La surface de l’eau était bien gelée. Mais on ne voit jamais la rivière avec une couleur si sombre. Et la glace ! Elle est censée refléter le soleil, au moins ! Pourtant là. C’était ça qui manquait. Les reflets ! Il n’y avait plus aucun reflet dans l’eau, et la glace avait l’aspect d’un ciel nocturne. Comment est-ce que les reflets ont disparu ? Aucune idée. Les nuages ? Une petite illusion visuelle ? Il n’y a pas vraiment d’autres explications qui lui viennent à l’esprit. En tous cas c’était nouveau. Beau. Paisible. Mais légèrement inquiétant, sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi.

Le questionnement se dissipe au gré des images d’animaux mignons partagés sur les réseaux sociaux, et Anaïs et Lily voguent tranquillement à leur soirée, mangeant bien des pâtes, encore. Avec un peu de sauce tomate, de sel et de poivre. Simple mais efficace. Une infusion, puis une deuxième, une troisième, et la journée touche à sa fin, la lune haute dans le ciel. Une douche rapide. Le traitement. Et voilà. Journée finie. Anaïs se met au lit. Et s’endort, rapidement, d’un sommeil lourd.